Par Adrien Jaulmes – Le Figaro –
Le début de ce siècle a vu se poursuivre et s’accélérer le grand exode des chrétiens du Moyen-Orient. Alors qu’ils représentaient avant la Première Guerre mondiale environ 20 % de la population de la région, les chrétiens de toute obédience ne sont plus, cent ans plus tard, que 2 ou 3 %. Taux de natalité plus faible et plus forte tendance à l’émigration sont les principales raisons avancées par les démographes pour expliquer le déclin de la présence chrétienne sur les terres où est née cette religion. Mais les persécutions perpétrées sous des prétextes divers par la majorité musulmane sont largement responsables de cet exil.
Souvent annoncée, la disparition de communautés entières est devenue une réalité. En Irak, la grande majorité des chrétiens restants sont des déplacés intérieurs. Pour la première fois en deux mille ans, il n’y a plus de chrétiens à Mossoul ni dans la majeure partie de la Mésopotamie. Chassés par l’État islamique, les habitants assyriens et chaldéens de la plaine de Ninive vivent depuis deux ans dans des caravanes dans des camps de réfugiés au Kurdistan. Ils ont ces derniers mois subis un deuxième choc. La libération de leurs villes et de leurs villages s’est accompagnée de la découverte de leurs églises profanées et de leurs maisons pillées par des militants de l’État islamique, souvent venus des villages voisins.
La plupart des chrétiens de Ninive ne retourneront pas chez eux ou seulement pour vendre leur terre ou leur maison
La politique de nettoyage confessionnel de l’État islamique a largement fonctionné. La plupart des chrétiens de Ninive ne retourneront pas chez eux ou seulement pour vendre leur terre ou leur maison, avant de s’installer définitivement au Kurdistan ou d’émigrer vers l’Europe, l’Australie ou l’Amérique du Nord. Dernier avatar historique de l’islam radical et conquérant, l’organisation djihadiste a achevé un mouvement commencé par d’autres acteurs, étatiques ou non. Ce phénomène peu ordinaire, qui a vu la première religion mondiale peu à peu évincée des terres qui l’ont vu naître, s’est déroulé par étapes, souvent sous les yeux de la chrétienté occidentale.
Les pogromes antichrétiens du XIXe siècle se transforment au début du XXe siècle, changeant à la fois d’échelle et de nature. Le grand massacre des Arméniens et des Assyriens en 1915, décidé et organisé par les Ottomans, et perpétré avec l’active collaboration des Kurdes qui s’emparent de terres des chrétiens dans l’est de la Turquie, est le premier génocide du siècle. Il a pour résultat l’éradication presque totale du christianisme du territoire de la Turquie moderne.
Un conflit complexe et long de quinze ans
Ce génocide est suivi, juste après la Première Guerre mondiale, par un autre phénomène d’ampleur historique: l’expulsion des Grecs d’Asie mineure en 1922 (alors qu’une partie des Turcs sont chassés des Balkans), qui voit la disparition des églises les plus anciennes de l’histoire, fondées par les premiers apôtres.
Le phénomène se poursuit à l’ère des États-nations créés sur les ruines de l’Empire ottoman. Plus proche de nous, la guerre du Liban marque la fin du seul État à dominante chrétienne du Moyen-Orient. Souvent vu en Occident comme une guerre civile entre des révolutionnaires «islamo-progressistes» et un camp chrétien présenté comme conservateur et fascisant, ce conflit complexe et long de quinze ans s’achève par la défaite des chrétiens, qui perdent leur prédominance politique sur le Liban au profit des musulmans sunnites et chiites. Les chrétiens sont aussi chassés de régions entières du Liban, le Sud et la Bekaa, massacrés dans le Chouf.
Si les communautés chrétiennes du Liban, et notamment les maronites, demeurent parmi les plus florissantes de la région, la fragilité de l’équilibre libanais interdit de penser que le répit qu’elles connaissent soit garanti dans l’avenir. Contraints de s’allier aux dictatures sous peine d’être persécutés par les islamistes, comme en Syrie, les chrétiens sont régulièrement pris comme boucs émissaires. «Leur histoire glorieuse, écrit l’historien Jean-Pierre Valognes dans son monumental ouvrage Vie et mort des chrétiens d’Orient, fut occultée et travestie, au point que, sur la terre dont ils étaient les anciens propriétaires, ils finirent par être traités en hôtes plus ou moins tolérés, quand ce n’est pas en étrangers.»
«Si leur disparition complète est improbable, continue l’historien, on peut penser qu’ils se réduiront à une somme d’individualités hors d’état de maintenir la vie communautaire indispensable à la préservation de leur identité. (…) C’est dire que ce qui faisait leur richesse n’aura plus court. (…) Le Moyen-Orient arabe y gagnera l’homogénéité religieuse que sa vision théologique suppose. (…) Il y perdra les atouts du pluralisme, ce dont les islamistes n’ont cure.»
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Photo: La messe de Noël, samedi en Irak, à l’église Saint-Jean de Qaraqosh. – Crédits photo : SAFIN HAMED/AFP